Quels sont les avantages d’une éducation privée ou spécialisée par rapport au public ?

Cette question m’a été posée sur Quora . Voici ma réponse.


Merci de la demande de réponse, mais je ne vais pas pouvoir répondre en seulement quelques lignes et de manière complète tant votre question est vaste.

Tout d’abord, je vais faire l’hypothèse que je crois raisonnable que votre question concerne seulement la France et en 2020.

En France, en 2020, «éducation spécialisée» est un terme qui ne correspond plus à grand chose. Il y a un quart de siècle, on voulait dire par là l’éducation des enfants qui avaient des besoins très particuliers, le plus souvent liés à un handicap. Ca existait dans de nombreux pays. En anglais on parlait de «specialized education».

Il y avait des structures d’éducation spécialisée publiques et privées, le plus souvent mixtes (privées associatives, financement public). Il n’y a donc pas tellement lieu de différencier l’éducation spécialisée privée de l’éducation spécialisée publique.

De toute manière les deux sont en voie de disparition parce que la tendance est à «l’inclusion», c’est à dire au fait de ne pas séparer les enfants handicapés ou malades des autres. C’était une belle idée au départ, sauf que comme l’état n’a jamais eu les moyens financiers de cette politique généreuse et qu’au contraire il voulait réduire les dépenses, c’est au final les enfants malades et handicapés qui en font les frais. On est souvent à la limite de la maltraitance institutionnelle. Et même parfois franchement de l’autre côté de la limite. (Opinion purement personnelle, fondée sur aucune enquête officielle, mais seulement sur 40 années d’expérience professionnelle).

Reste la question de l’école publique et privée en France en 2020. Et là, on pourrait en écrire des centaines de livres. Je vais me contenter de donner mon point de vue en très résumé.

Beaucoup de gens, y compris à l’intérieur du système, continuent d’en parler avec le vocabulaire et les concepts des années 1950. Or les choses ont considérablement changé depuis.

Dans les années 1950 et jusqu’aux années 1980, il y avait en France deux écoles:

  • L’école publique et laïque, issue des lois Jules Ferry, pilotée par l’état et fondée sur ce qu’on appelait «les valeurs de la République».
  • Les écoles privées (le plus souvent catholiques), qui dépendaient de l’archevêché et qui défendaient le «caractère propre» d’une éducation religieuse (presque toujours catholique).

Depuis une trentaine d’années, et sans que ça ne soit jamais clairement dit, la France est progressivement passée au système libéral mondialisé. C’est un système très différent de celui du Général de Gaulle et du Conseil National de la Résistance. Il est fondé sur non plus deux mais sur trois écoles:

  • L’école privée « classique », pour les classes sociales moyennes, qui ont le désir et les moyens de payer plus pour l’éducation de leurs enfants. En échange de cet effort financier, ils demandent des cours qui fonctionnent mieux et qui soient à l’abri des enfants perturbateurs. Cette école privée est de moins en moins religieuse. Au contraire, alors que les écoles catholiques d’autrefois plaçaient les valeurs chrétiennes au-dessus et de tout et se méfiaient de tout se qui touchait à l’argent (au moins officiellement), les écoles privées modernes sont de plus en plus en prise directe avec le monde économique et les besoins du marché de l’emploi.
  • L’école publique pour les classes populaires. Elle fait de son mieux mais elle a le devoir absolu de scolariser tous les enfants, y compris ceux qui empêchent le déroulement des cours pour toutes sortes de raisons, parfois à cause de troubles mentaux qui auraient autrefois été pris en charge par l’éducation spécialisée. Du coup, il y a un effet de cercle vicieux. Plus les conditions se dégradent et plus les familles qui ont un peu d’argent vont dans le privé, et plus les difficultés se concentrent dans l’enseignement public, etc. Le programme de l’école publique de nos jours, je n’invente rien c’est en toute lettres dans les documents officiels, c’est d’enseigner le «socle minimum» pour les enfants des familles qui n’ont pas les moyens financiers d’espérer plus. «L’école du socle», ça s’appelle désormais. Si vous ne me croyez pas, vérifiez par vous-même. De nouveau, je ne m’appuie que sur une expérience personnelle quand je dis ça. Il y a 40 ans, les enseignants du public qui mettaient leurs enfants dans le privé étaient une petite minorité. Et quand il le faisaient, c’était presque toujours pour des raisons d’attachement aux valeurs chrétiennes. De nos jours, dans le dernier collège public où j’ai exercé, la majorité des professeurs mettaient leurs enfants dans le collège privé et ce n’était pas du tout pour des raisons religieuses, ni même pour des raisons de qualité de l’enseignement, mais uniquement pour les conditions d’enseignement en général, et en particulier pour la possibilité de faire cours sans trop de perturbations.
  • Enfin, troisième sorte d’école dans le modèle libéral, l’école des élites. Si vous en faites partie vous en savez déjà tout. Dans le cas contraire, vous n’en avez sans doute jamais entendu parler. Ce sont les cours privés des grandes métropoles dans lesquels se retrouvent les enfants des élites en primaire, avant d’intégrer ensuite les lycées prestigieux des quartiers huppés de Paris. On y apprend toutes sortes de choses, dont les astuces qui permettent de prouver aux jurys des Grandes écoles, lors des épreuves orales (à l’écrit il y a plus d’égalité des chances) qu’on a reçu « une bonne éducation, dans une bonne famille ». Je ne souhaite pas polémiquer là-dessus, je ne répondrai donc pas à d’éventuelles attaques dans les commentaires. Je n’ai rien de mieux à dire de tout ça que ce qu’en disait déjà Bourdieu.

Au final, système à trois vitesses comme aux USA ou en Angleterre. La principale différence, c’est qu’aux USA et en Angleterre, ce système à trois vitesses est connu de tous et accepté comme tel. En France, pour des raisons historiques et politiques, il reste tabou de le décrire tel qu’il est.

Revenons maintenant à votre question:

En France et en 2020, quels sont les avantages des écoles privées par rapport aux écoles publiques? (Les écoles des élites ne sont pas pour vous si vous n’en faites pas déjà partie)

Autrement dit, dans une société où tout a été marchandisé, quels sont les avantages d’une école payante par rapport à une «école du socle» gratuite mais réduite au «socle minimal»?

A partir du moment où on a une vision claire du système et de son fonctionnement, je pense qu’il devient facile de répondre, mais personne ne peut répondre à votre place: Tout dépend de vos objectifs en matière d’éducation et de vos moyens financiers.

Avec une dernière dimension à prendre en compte toutefois. De plus en plus, au fur et à mesure de la marchandisation de l’éducation, il devient nécessaire voire indispensable de compléter les cours donnés par les établissements publics comme privés par des cours de rattrapage ou d’approfondissement donné par des entreprises spécialisées, genre Acadomia pour le primaire ou les divers PrépaSup dans le supérieur.

Bonne journée.