S02 E10 Fentes, chats intrications et Qbits

Publié le mar. 11 août 2020 dans PQT , modifié le:

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Nous voici arrivés presque au terme de cette deuxième saison. Comme dans un tableau, le paysage s'éclaircit peu à peu, au fur et à mesure des touches successives.

Avant de clore cette deuxième saison, qui sera allée aussi loin qu'il est possible d'aller sans recourir ni à des analogies trop grossières ni non plus à la pratique des mathématiques, nous allons approfondir encore un peu quatre sujets très célèbres.

  • Les fentes de Young avec leurs électrons dont on dit souvent de manière abusive qu'ils passeraient par deux trous en même temps.
  • Le célébrissime chat de Schrödinger, dont on dit de manière tout aussi abusive, bien que très pédagogique, qu'il pourrait être à la fois mort et vivant
  • L'intrication quantique et ce qu'Einstein appelait une «fantomatique action à distance [1].
  • L'informatique quantique supposée détrôner à court terme tous nos ordinateurs actuels.

Les fentes de Young

L'expérience des fentes de Young a été réalisée en 1801 avec de la lumière par le physicien Thomas Young. Personne ne parlait de physique quantique à l'époque. Elle a permis de démontrer que la lumière se comporte comme une onde.

La physique quantique, par la suite, a permis de d'obtenir les mêmes résultats avec des électrons, puis des atomes, et depuis quelques temps avec des molécules.

Fentes de Young

Fentes de Young

Que peut-on en dire dès à présent, en attendant de rentrer plus avant dans les concepts mathématiques indispensables à une compréhension plus beau plus fine ?

Qu'à l'échelle atomique, les objets ne se comportent pas du tout comme des corpuscules. Entre deux interactions avec leur environnement, ils n'ont pas de position bien définie et donc pas de trajectoire. [2]

On peut seulement calculer la probabilité qu'ils interagissent avec l'écran à tel ou tel endroit. Il y a des endroits où il est probable qu'ils interagissent et d'autres endroits où ce n'est pas possible. Ce calcul ressemble aux calculs qu'on fait avec des ondes et il doit prendre en compte tous les chemins possibles.

Le physicien Richard Feynman a élargi en 1942 la compréhension de ce phénomène en proposant une méthode de calcul beaucoup plus puissante et générale, dite «intégrale de chemin».

Ca n'a donc pas vraiment de sens de dire que « l'électron est passé par les deux fentes à la fois ». En fait, quand il n'interagit pas avec son environnement, l'électron n'est nulle part, il ne "passe" nulle part mais ses probabilités de présence, elles, sont (presque) partout. En revanche, chaque fois qu'il interagit avec son environnement, il est à un seul endroit, jamais plus.

Nous reviendrons sur tout ceci quand nous disposerons des outils mathématiques nécessaires, dans la saison 5 de notre voyage.

Le chat de Schrödinger

Le chat de Schrödinger est une très célèbre expérience de pensée imaginée en 1935 par le physicien Erwin Schrödinger.

Le chat de Schrödinger

Le chat de Schrödinger

Elle met en évidence la bizarrerie des phénomènes quantiques lorsqu'on les imagine à notre échelle. L'idée est «d'amplifier» un état combiné d'un phénomène quantique par une chaîne de conséquences.

Un atome radioactif dans un état quantique combiné (désintégré et non désintégré) est mesuré par un détecteur. D'après le formalisme quantique, ce détecteur passe alors lui aussi dans un état combiné (activé et non activé). Le détecteur agit à son tour sur un marteau (relâché et maintenu), qui agit sur une fiole de poison (brisée et non brisée), qui agit sur un chat (mort et vivant) enfermé dans une boîte.

Toujours d'après les équations de la mécanique quantique, l'expérimentateur lui-même, dès qu'il ouvrira la boîte pour voir le résultat de l'expérience, devrait se retrouver lui aussi dans un état combiné («je vois le chat mort» et «je vois le chat vivant»).

Or bien, sûr, personne n'a jamais vu de chat à la fois mort et vivant !

Comment expliquer ce paradoxe ?

C'est toute la question du passage des lois quantiques, qui prédominent à l'échelle atomique, aux lois classiques, qui prédominent à notre échelle. Nous avons commencé à étudier cette question dans l'épisode S02E04. Le chat de Schrödinger n'est qu'une manière particulièrement frappante de présenter ce qu'on appelle le « problème de la mesure ».

Il n'y a pas à l'heure actuelle d'explication unique et consensuelle pour résoudre ce paradoxe. Mais ça ne signifie pas que le mystère soit total, comme on l'entend parfois.

Il est par exemple déjà assuré que le détecteur, dans cette expérience de pensée, ne resterait pas dans un état combiné plus d'un milliardième de milliardième de milliardième de seconde. La fiole ne poison ne sera donc jamais « à la fois brisée et intacte », elle sera de manière tout à fait classique « ou bien brisée ou bien intacte » Ce qui exclut au bout de la chaîne toute possibilité d'existence d'un chat "mort-vivant".

Toutefois, au niveau des systèmes quantiques, l'étrangeté du problème de la mesure reste réelle et elle continue de faire l'objet de recherches actives et de perspectives étonnantes ayant des implications philosophiques profondes. Sur l'unicité de l'Univers par exemple. Nous y reviendrons quand nous en saurons plus sur les mathématiques qui permettent de les comprendre.

Mais d'ici là, restons conscients que lorsque la presse parle de recherches en cours sur le «chat de Schrödinger», il ne s'agit que d'une métaphore pour parler de recherches sur le comportement d'atomes placés dans des boîtes très petites et très froides. Ce qui arrive souvent aux atomes n'arrive jamais aux chats.

Spins intriqués [3]

Le phénomène qu'on appelle « intrication quantique » fait actuellement l'objet de beaucoup de recherches.

Ce n'est pas un phénomène totalement différent de celui des fentes de Young ou de celui représenté par la métaphore du Chat de Schrödinger. Ce n'est au fond qu'une autre conséquence des postulats de la mécanique quantique. Ce phénomène présente souvent des aspects sous des aspects extrêmement complexes, mais il peut parfois aussi se présenter de manière beaucoup plus simple et c'est ce que nous allons voir maintenant .

Une analogie pour commencer

Imaginons qu'Alice et Bob aient chacun une pièce de monnaie et que leurs pièces soient "intriquées".

Ils se séparent très loin l'un de l'autre et ils commencent à tirer à pile ou face, à différents moments de la journée:

Alice obtient: face à 2h, pile à 3h, face à 4h, face à 5h et pile à 6h

Bob est moins rigoureux question timing.

Bob obtient: pile à 2h, face à 3h10, pile à 3h55, pile à 5h et face à 8h

Autrement dit, à chaque lancer, Alice obtient toujours exactement le contraire de ce qu'obtient Bob.

Et ce n'est pas l'un des résultats qui influence l'autre puisque ça ne dépend pas de qui lance le premier.

Ça ne peut pas non plus servir à communiquer instantanément quoi que ce soit, puisque ni Alice ni Bob ne peuvent prévoir le résultat du prochain lancer, encore moins l'influencer.

La chose étonnante, c'est que si par exemple Alice obtient "pile" à son troisième lancer, elle sait immédiatement que Bob a obtenu (ou obtiendra plus tard) le contraire, donc "face", à son troisième lancer. Et pareil pour tous les lancers.

Ça peut avoir certains avantages techniques, par exemple pour sécuriser des communications.

Imaginons par exemple que la séquence obtenue par Alice soit PFFPFPPF [4]. La séquence obtenue par Bob est donc l'opposé, soit FPPFPFFP. Mais les lois de la mécanique quantique font que cela, seuls Alice et Bob peuvent le savoir car les corrélations quantiques ne peuvent pas être interceptées.

Connaissant la clé de chiffrage constituée par la séquence obtenue par Bob. Alice peut donc lui envoyer de manière simple, mais avec une transmission classique, pas plus vite que la vitesse de la lumière, un message codé en convenant par exemple du code suivant:

PP=FF=1 PF=FP=0

Ainsi, si Alice envoie par exemple, de manière classique, la séquence, «PPFPFPPP», dans laquelle elle a inversé le deuxième et le dernier élément de sa propre clé, Bob pourra décoder:

  • PPFPFPPP Message envoyé par Alice de manière classique
  • FPPFPFFP Clé de Bob, connue par Alice grâce à l'intrication quantique
  • 01000001 Message déchiffré en tenant compte du code convenu, à savoir "1" si pareil et "0" si différent, soit ici la lettre "A" dans le code ASCII.

TOUTEFOIS:

Tout ceci n'est qu'une image assez simplifiée du cas le plus simple d'intrication quantique, pour donner l'idée générale. Dans la plupart des cas, c'est beaucoup plus complexe et subtil que ça. C'est ce que nous allons voir de manière un peu plus rigoureuse maintenant [5].

Allons un peu plus loin

Pour aller un peu plus loin qu'une simple analogie, reprenons maintenant notre bonne vieille expérience de Stern et Gerlach "améliorée" des épisodes précédents, mais imaginons maintenant que nous envoyons les atomes d'argent non plus un par un mais deux par deux, et dans des directions légèrement différentes.

Pour simplifier la suite de l'exposé, au lieu de dire «atome d'argent», je dirai désormais «spin» [6].

Première expérience

Imaginons aussi que nous les préparions de telle manière que le spin de gauche soit dirigé vers la gauche, donc dans l'état bien défini ❘L> selon la notation que nous avons employée dans les épisodes précédents.

Nous préparons aussi le spin de droite dans l'état opposé, donc ❘R> .

2 spins indépendants

2 spins indépendants

Comme dans les épisodes précédents, arrivant au niveau des détecteurs, le spin de gauche a 50% de chances d'être projeté dans l'état "Up" et 50% de chances de d'être projeté dans l'état "Down".

Il en va de même pour le spin de droite.

Si vous vous souvenez de notre langage mathématique simplifié des épisodes précédents, nous pourrions écrire, en ce qui concerne l'état initial du spin de gauche:

❘L> = 50% ❘U> + 50% ❘D>

et, pour celui de droite:

❘R> = 50% ❘U> + 50% ❘D>

Jusqu'ici, rien de nouveau par rapport aux épisodes précédents [7].

Essayons maintenant de considérer ces deux spins comme un seul objet qui serait composé de deux parties.

Les 4 résultats possibles

Les 4 résultats possibles

Ce nouvel objet n'aurait plus deux, mais quatre états possibles. La partie de gauche peut devenir ❘U> ou ❘D> et il en va de même pour celle de droite. Au total, nous pourrions noter les quatre états possibles à la sortie des détecteurs ainsi:

❘UU> ❘UD> ❘DU> et ❘DD>

avec les probabilités suivantes:

  • ❘UU> dans 25% des cas
  • ❘UD> dans 25% des cas
  • ❘DU> dans 25% des cas
  • ❘DD> dans 25% des cas

et notre équation pour décrire l'état du système global avant les détecteurs deviendra:

  • ❘Système de départ> = 25% ❘UU> + 25% ❘UD> + 25% ❘DU> + 25% ❘DD> [8]

Absolument rien de particulièrement impressionnant à ce stade, mais il était important de se familiariser avec l'idée et avec la notation qui l'exprime.

Deuxième expérience

Notre première expérience était d'une banalité affligeante, elle ne nous a servi qu'à présenter les choses avec une formule mathématique tout à fait banale.

La deuxième va être encore plus banale, mais il est important d'en comprendre toute la banalité pour bien comprendre à quel point la quatrième expérience sera décoiffante !

Détecteurs alignés sur l'état de départ

Détecteurs alignés sur l'état de départ

Nous allons maintenant faire basculer les détecteurs, pour détecter une chose que nous savions déjà, à savoir les états bien définis de départ ❘L> et ❘R>.

Notre système combiné de deux spins n'a plus, par rapport à nos détecteurs ainsi disposés, qu'un seul état possible.

Le spin de gauche était dans l'état ❘L> et il le restera et le spin de droite était dans l'état ❘R> et il le restera. Au total, le système de deux spins était au départ dans l'état ❘LR> et il le restera après la détection. Nous pouvons donc écrire :

  • ❘Système de départ> = 100% ❘LR>

Troisième expérience

Compliquons maintenant un tout petit peu les choses. Le gars qui prépare les spins au départ va les mélanger sans dire à ses collègues lequel des deux ira vers le détecteur de droite et lequel ira vers le détecteur de gauche. Cette fois-ci, pour les observateurs, deux états sont possibles au niveau des détecteurs.

Est-ce que nous pourrions écrire :

  • ❘Système de départ> = 50% ❘LR> + 50% ❘RL> ?

La réponse est NON !

Pourquoi ?

Parce que l'incertitude que nous avons dans ce cas vient du fait que nous ne savons pas quelle partie du système est allée vers le détecteur de gauche et laquelle est allée vers celui de droite. L'incertitude, dans ce cas, est liée à notre ignorance. Elle n'est pas inscrite dans l'état du système lui-même.

Permettez-moi d'insister sur ce point: L'observateur qui est au niveau des détecteurs ne sait pas s'il observera ❘LR> ou ❘RL> mais le type qui a préparé les spins, lui, sait lequel des deux il a envoyé à gauche et lequel à droite. Donc il sait si le résultat sera ❘LR> ou ❘RL>. L'incertitude n'est pas dans le système, elle est seulement dans la tête de l'un des expérimentateurs. Et même si tous les expérimentateurs étaient dans la même ignorance, elle serait toujours dans la tête des expérimentateurs et pas dans l'état du système.

La Une du New York Times, 4 mai 1935

La Une du New York Times, 4 mai 1935

C'est là une différence très importante qu'il faudra garder à l'esprit dans la suite de notre voyage :

  • Il y a des cas où l'incertitude vient de notre ignorance de l'état du système. Le résultat ne devra rien au hasard, c'est nous qui n'avons pas assez d'informations pour le calculer.
  • Et il y a d'autres cas où l'incertitude est inhérente au système. Nous en savons tout. Il n'y a rien de caché. C'est le système en lui-même qui est aléatoire. Cette idée révulsait Einstein. Il préférait imaginer qu'il restait, quelque part, des variables cachées que nous ne connaissions pas encore et qui permettraient un jour d'expliquer ce hasard apparent. D'où sa phrase célèbre : « Dieu ne joue pas aux dés ».

Mais revenons aux expériences que nous venons de faire :

  • Si mes détecteurs sont alignés sur l'état de base des spins, il n'y a qu'un seul résultat possible pour chacun des spins. Nous avons déjà vu ça 100 fois maintenant. Donc 1x1=1, UN SEUL résultat pour le couple de spins.
  • Si mes détecteurs ne sont pas alignés sur l'état de base des spins, il y a deux résultats possibles pour chaque spin. Donc 2x2=4, QUATRE résultats possibles pour le couple de spins.

Si nous prenons le temps de bien y réfléchir, cette conclusion est tout à fait banale. Nous allons poursuivre avec une autre constatation tout aussi banale, mais qui va s'avérer tout aussi importante pour la suite.

Dans cette nouvelle configuration, l'observateur qui ne regarde que le détecteur de gauche ne peut pas savoir à l'avance s'il va observer le résultat ❘L> ou le résultat ❘R>, parce qu'on ne lui a pas dit lequel des deux spins il va recevoir.

Mais dès qu'il aura son résultat, il pourra immédiatement savoir que l'autre détecteur enregistrera, ou a déjà enregistré, le résultat inverse. Est-ce que pour autant il a fait de la transmission de pensée? Ou est-ce qu'il a envoyé une information vers l'autre détecteur?

Évidemment, non. L'observateur de gauche sait d'avance ce que va voir l'observateur de droite parce que le système est dans un tel état que ce sera toujours le contraire de ce qu'il observe avec son propre détecteur. Il n'y a aucun magie ni aucune « action fantomatique à distance » dans tout ça.

Quatrième expérience

Attachez vos ceintures, c'est maintenant que ça va secouer un peu.

Nous avons vu dans la première expérience que pour des détecteurs orientés verticalement nous avons:

  • ❘Système de départ> = 25% ❘UU> + 25% ❘UD> + 25% ❘DU> + 25% ❘DD>

Et nous avons vu dans la seconde expérience que si nous plaçons nos détecteurs horizontalement, nous avons:

  • ❘Système de départ> = 100% ❘LR>

Nous avons vu enfin que nos couples de spins ne sont jamais dans des états tels que :

  • ❘Système de départ> = 50% ❘UD> + 50% ❘DU>

ou

  • ❘Système de départ> = 50% ❘LR> + 50% ❘RL>

Tout simplement parce qu'il n'est pas possible de préparer deux spins indépendants qui, en se regroupant, donneraient ce résultat. (Essayez si vous ne me croyez pas !)

Le truc qui décoiffe vraiment maintenant, c'est que la Nature, elle, accepte de fabriquer de tels états.

Prenez votre temps…

Ça ne décoiffe vraiment que si on prend le temps de bien mesurer ce que ça signifie.

Dans notre troisième expérience, nous n'avions ce résultat particulier qu'en apparence, parce que nous ne savions pas quel spin allait à droite et quel spin allait à gauche.

Là, la situation est très différente, l'incertitude ne vient pas de notre ignorance, elle est gravée dans le système lui-même.

Et ça va plus loin que ça encore car les mathématiques de la physique quantique nous disent aussi que nous si nous avons cet état étrange dans une direction, alors nous l'avons aussi dans toutes les directions à la fois ! [9]

Ça signifie que le spin de droite, comme celui de gauche, n'ont plus aucune orientation priviligée. Ils n'ont même plus aucune orientation du tout. On ne peut plus les représenter en mettant une petite flèche sur chacun, comme nous le faisions jusqu'à présent. Tout ce qu'on peut dire d'eux, c'est qu'ils se sont placés dans un état tel qu'aucun d'entre eux n'a plus aucune orientation propre, mais que quand on les détectera, ils prendront toujours des orientations opposées l'une à l'autre.

Quelle que soit la direction de nos détecteurs, le spin de gauche donnera toujours un résultat opposé à celui de droite. Les résultats sont totalement corrélés. Nos deux spins ne sont plus du tout indépendants. On dit qu'ils sont totalement [10] intriqués.

Comment une telle situation serait-elle possible ?

Oh, il y a bien un moyen !

Il suffirait que les spins se concertent avant de partir et se disent quelque chose comme :

« Quelle que soit la position des détecteurs, je m'alignerai sur celui que je vais rencontrer alors que toi, tu te mettras dans le sens inverse ».

Mais une telle hypothèse semble tellement incroyable que les premiers physiciens qui ont observé l'existence de cette possibilité au niveau des mathématiques ont eu du mal à croire qu'elle pouvait se réaliser dans le monde réel.

Or il n'y a aucun doute, ce genre de fonctionnement quantique existe réellement !

Alain Aspect en 1982

L'expérience d'Alain Aspect, en 1982,
a démontré qu'il n'y avait pas de variables cachées locales
CC-BY-SA Peter Potrowl

Ça n'est qu'une corrélation. On sait aujourd'hui qu'il n'y a pas de transmission d'information. Pas de dialogue entre les spins non plus. Pas de « variable cachée » [11]. On peut le démontrer. Comme on peut démontrer aussi qu'ils ne se mettent pas d'accord, de quelque manière que ce soit, avant de partir.

Mais alors comment font-ils pour se synchroniser s'ils ne communiquent pas entre eux et qu'il ne se mettent pas non plus d'accord avant de partir ?

Personne ne le sait et c'est là tout le mystère des états d'intrication quantique. Tout se passe comme si les deux spins n'étaient pas séparés… malgré la distance qui les sépare. Le terme savant pour dire ça est « non localité ». C'est encore une autre chose qui n'existe pas à notre échelle. Les maths se contentent de dire que les spins peuvent le faire et on constate dans le monde réel qu'ils le font effectivement, et qu'ils le font très exactement de la manière prévue par les mathématiques.

Peut-être y a-t-il malgré tout un mécanisme caché "non local", radicalement différent de tout ce que nous connaissons, à découvrir derrière ce mystère ? Certains scientifiques continuent de penser que oui. La plupart pensent que non, car cet hypothétique mécanisme mystérieux devrait avoir un fonctionnement vraiment trop incroyable. Pour eux, c'est une loi fondamentale de la Nature, on ne peut que la constater.

Bien évidemment, nous n'aurons pas la prétention de résoudre ici un mystère qui divise les plus grands spécialistes. Mais nous y reviendrons dans les saisons suivantes pour en approfondir les implications.

Qbits et informatique quantique

On parle beaucoup, depuis quelques années, des progrès de l'informatique quantique. De quoi s'agit-il ?

Le prototype d'ordinateur quantique d'IBM en 2019

Le prototype d'ordinateur quantique d'IBM en 2019

C'est un sujet extrêmement vaste et complexe dans sa technologie et ses mathématiques, que très peu de gens maîtrisent vraiment à l'heure actuelle, mais nous pouvons en dire quelques mots.

L'informatique que nous connaissons à l'heure actuelle est fondée sur des informations codées en bits, octets, kilooctets, mégaoctets, etc…

L'unité de base, le bit, est la plus petite quantité possible d'information. "Oui" ou "non", le courant passe ou il ne passe pas, 0 ou 1.

Dans le monde quantique, le spin, comme nous l'avons vu, peut prendre seulement deux valeurs au moment où il est détecté. Traditionnellement, on les appelle "Up" et "Down" par rapport à un détecteur qui serait placé verticalement. Mais c'est juste une convention, comme nous l'avons vu longuement dans les épisodes précédents. Quelle que soit la position de notre détecteur, au moment où il interagit avec le détecteur, le spin sera "projeté" dans un état tel qu'il sera soit attiré soit repoussé.

Ces deux états de base, nous les avons appelés jusqu'ici ❘U> et ❘D>, mais d'autres peuvent les appeler ❘0> et ❘1>, peu importe.

On peut donc utiliser des spins pour faire de l'informatique. Ce sont des bits quantiques, des «Qbits»

Par rapport aux bits ordinaires, ces spins, portés par des électrons ou par d'autres particules, ont deux propriétés quantiques que nous connaissons bien maintenant :

1) Les Qbits ne sont pas limités à leurs deux états de base, puisqu'ils peuvent les combiner en dehors du moment où on les mesure.

Nous avons déjà vu ça de nombreuses fois. Des états comme:

72% ❘U> + 28% ❘D>

sont possibles pour les qbits alors qu'ils ne le sont pas pour les bits ordinaires qui ne peuvent être que ❘U> ou ❘D>

Et ce n'est pas tout. Nous avons entrevu aussi, et nous le développerons dans la prochaine saison, que les coefficients de ce genre de combinaisons peuvent être des nombres complexes, c'est à dire des nombres très différents de toutes les sortes de nombres qu'on apprend au collège.

D'un certaine manière, un qbit, tant qu'on ne l'observe pas, peut donc contenir beaucoup plus d'information qu'un bit ordinaire.

2) Les Qbits peuvent « s'intriquer » pour "travailler ensemble", comme nous l'avons aperçu dans le chapitre précédent.

Ces deux propriétés nouvelles laissent entrevoir la possibilité de construire des ordinateurs très différents de ceux que nous avons actuellement sur nos bureaux. Ces ordinateurs "quantiques" auraient des capacités très supérieures aux ordinateurs traditionnels pour certaines sortes d'applications.

Toutefois, cette technologie nouvelle et en plein essor a encore d'énormes défis à relever. Le principal tient à la difficulté technique de maintenir des qbits dans un état de combinaison quantique. Car nous l'avons vu, dès qu'ils interagissent avec leur environnement, ils perdent très vite leurs propriétés quantiques.

Les Qbits et les ordinateurs quantiques n'existent donc pour le moment que sous la forme de prototypes extrêmement complexes et délicats, nécessitant le plus souvent de fonctionner à des températures proches du zéro absolu.

On trouvera plus bas, dans la section "Pour aller plus loin", une conférence de Gérard Berry, un des plus grands spécialistes du domaine. Il confirme qu'en 2019, on est encore très loin de pouvoir réaliser les exploits qui sont pourtant d'ores et déjà revendiqués par certaines firmes et vantés par avance sur les réseaux sociaux.

Pour aller plus loin

Notes et références

[1]« Spooky action at a distance »
[2]Telle est du moins la manière dont la très grande majorité des physiciens modernes comprend les choses. Il reste toutefois quelques physiciens qui continuent de travailler sur une théorie alternative, dite «de De Broglie-Bohm», qui conserverait le concept de trajectoire, mais au prix de suppositions encore plus surprenantes.
[3]Cette partie est un peu plus ardue et longue que les autres. Nous reviendrons sur tout ceci dans la saison 05. Si elle vous semble obscure, vous pouvez pour le moment vous contenter de me croire à propos de ceci: Rien n'est transmis instantanément et encore moins "téléporté" à distance. Ce qui change "instantanément" ou qui est "transmis" ou "téléporté", ce sont des coefficients dans une équation. Un coefficient qui repérente ce qui se passe à un endroit de l'espace est effacé ou recopié à un autre endroit de l'équation, qui représente ce qui se passe à un autre endroit de l'espace. Cette modification de l'équation décrit des corrélations entre ce qui se passe à un endroit et ce qui se passe à un autre endroit. Mais dans le monde réel, pour observer ces corrélations, il faudra comparer les résultats réellement obtenus aux deux endroits. Et pour les comparer, il faudra d'abord les recevoir. Or ces résulats ne peuvent pas être transmis plus vite que la vitesse de la lumière.
[4]Avec évidemment P pour Pile et F pour face
[5]Et bien sûr, nous y reviendrons de manière encore un peu plus rigoureuse dans une autre saison, quand nous serons plus à l'aise avec les mathématiques des états quantiques.
[6]En effet, le même phénomène physique est observé dans de nombres autres cas, la chose commune à tous ces cas étant la propriété assez générale, typiquement quantique, qu'on appelle le "spin". C'est cette même propriété que nous avions aussi appelée précédemment et de manière un peu abusive, pour simplifier la compréhension, «l'aimantation». Elle a aussi beaucoup à voir avec d'autres concepts tels que le «moment magnétique», le «moment cinétique», la «polarisation», etc. Pour le moment, nous laisserons toutes ces distinctions aux enseignants et aux étudiants de la discipline, et nous regrouperons tout ceci sous le nom générique de "spins", comme le fait Leonard Susskind dans son cours grand public.
[7]A ce stade, si ça n'est pas encore limpide pour vous, reprenez les épisodes précédents, envoyez-moi un email ou téléphonez à un ami. Ca n'est pas compliqué du tout, mais, l'air de rien, nous sommes déjà arrivés à une certaine altitude et si vous ne montez pas les marches une par une, vous risquez désormais d'en rater une assez vite.
[8]Nous verrons dans les saisons suivantes comment écrire ceci de manière plus académique, avec des symboles mathématiques beaucoup plus impressionnants, mais ça ne sera pas tellement différent.
[9]Nous le démontrerons mathématiquement lorsque nous serons plus avancés dans notre voyage
[10]"Totalement", car il existe aussi des situations intermédiaires, mais laissons ça de côté pour le moment.
[11]Ou en tout cas pas de variable cachée locale, comme dans le cas où les spins se seraient concertés avant de partir.

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