S02 E09 Du microcosme quantique au macrocosme classique

Publié le lun. 10 août 2020 dans PQT , modifié le:

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La « table d'émeraude »

La Table d’émeraude est un des textes les plus célèbres de la littérature alchimique et hermétique. Il contient la fameuse correspondance entre le macrocosme et le microcosme :

« Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ».

Tabula Smaragdina Hermetis

Tabula Smaragdina Hermetis

Ces notions de «macrocosme» et de «microcosme» remontent au moins jusqu'à l'Antiquité grecque et égyptienne. Le concept de «macroscosme» faisait référence à ce que nous appellerions aujourd'hui l'Univers, même si l'Univers connu à cette époque ne s'étendait guère au-delà des étoiles visibles à l'oeil nu. Le concept de «microscosme» désignait l'homme et ce qui se situe à son échelle: Les plantes, les animaux, les minéraux relevaient également du «microscosme», qui n'allait lui non plus pas plus loin vers l'infiniment petit que les très hypothétiques «atomes» de Démocrite, dont nous avons vus dans un épisode précédent qu'ils étaient fort différents du concept actuel d'atome.

Or ce que nous apprend la physique moderne, c'est non seulement que l'Univers est beaucoup plus vaste qu'on ne le pensait jusqu'ici, que ce soit vers l'infiniment grand ou vers l'infiniment petit, mais aussi que s'y produisent des phénomènes qui n'ont aucun équivalent à notre échelle.

A très grande échelle, il s'agit de phénomènes relatifs à la naissances de l'Univers observable et qui seront l'objet d'un voyage complètement différent, du moins dans sa plus grande partie.

A très petite échelle, il s'agit du monde quantique, qui est presque exclusivement celui de l'infiniment petit, ou plus exactement de l'extrêmement petit. Typiquement l'échelle atomique et sub-atomique, même si quelques rares phénomènes quantiques restent, dans certaines conditions, observables à notre échelle [1]. Donc, non, à l'échelle atomique tout au moins, il n'est plus vrai que «ce qui est en bas est comme ce qui est en haut».

Mais si comme notre monde quotidien est composé d'un très grand nombre d'éléments microscopiques, comment expliquer ces différences ?

La science ne le comprend pas encore entièrement. Il reste beaucoup de questions qui ne sont toujours pas résolues, ou qui ne le sont que de manière partielle, et qui sont toujours l'objet d'intense recherches. Mais il y a aussi un assez grand nombre de choses qui semblent désormais assez bien comprises.

C'est ce que nous allons passer en revue maintenant. Questions de taille ===================

En physique, aucun doute, « la taille, ça compte ! »

Prenons trois exemples simples :

Le blé

Si vous allez au silo à blé qui est à côté de chez moi, vous pouvez avoir l'impression que vous pourriez prélever exactement n'importe quelle petite quantité. Un train, un wagon, un sac ou un kilo. Mais évidemment, vous ne pourrez pas avoir moins de grains de blé qu'un seul grain de blé. Eventuellement, vous pourriez couper un grain en deux, mais ça ne serait déjà plus vraiment du blé, ce serait un peu de farine et un peu de son.

C'est la même chose en physique quantique.

La quantité de lumière

Nous l'avons précédemment, à l'échelle atomique, il n'est pas possible de produire moins de lumière bleue qu'une certaine quantité de lumière bleue.

Il est temps à ce stade de préciser un peu cette affirmation, toujours sans faire des maths avancées, pour respecter notre promesse, mais en parlant un peu de nombres quand même.

Il y a toutes sortes de bleus différents. Celui qui est le plus utilisé dans l'industrie des écrans d'ordinateurs par exemple est celui qui a une longueur d'onde de 466 nm. La plus petite quantité possible de lumière de cette couleur est d'environ un demi milliardième de milliardième de Joule.

A notre échelle, cette quantité d'énergie est absolument insignifiante. Elle suffirait à peine à déplacer un millionième de millionième d'une micro gouttelette d'eau sur quelques centimètres.

A l'échelle atomique en revanche, ça devient considérable. Il y a là assez d'énergie pour envoyer valser une molécule d'eau au-dessus du Mont Blanc.

La lumière ne nous arrive donc que par paquets entiers, qu'on appelle des photons. Chacun des ces photons est tellement minuscule qu'à notre échelle, on a l'impression qu'on peut en avoir exactement la quantité qu'on veut, mais ce n'est plus vrai à l'échelle des atomes.

L'électricité

En 1909, à Chicago, un physicien nommé Robert Millikan mit en évidence l'existence d'une quantité minimale d'électricité. Il travaillait avec des gouttelettes d'huile et un microscope. Il s'aperçut qu'il pouvait charger électriquement ses gouttelettes d'huile de telle sorte qu'elles se déplacent plus ou moins vite sous son microscope. Mais il ne pouvait obtenir que des multiples entiers d'une certaine vitesse de base.

Cette vitesse de base [2] correspondait à celle qui était produite par la charge électrique d'un électron. Si la gouttelette est chargée de deux électrons, elle ira deux fois plus vite. Avec trois électrons, elle ira trois fois plus vite [3].

Et bien plus encore

L'électricité, comme la lumière, comme le blé, arrive donc par paquets entiers. Ces paquets dont tellement petits qu'il faut monter des expériences extrêmement précises pour les observer. Ils sont à l'origine des termes "quantum", "quanta" et "quantique", qui désigne l'idée d'une quantité minimale.

Cette idée de quantités minimales de toutes choses ou presque a été très fructueuse. Il y a une quantité minimale d'aimantation [4], comme nous l'avons vu, mais aussi et c'est plus surprenant, une quantité minimale de vitesse de rotation, des quantités minimales de vitesse de déplacement pour les particules, etc.

Les scientifiques cherchent même, depuis des années, à mettre en évidence des quantités minimales d'espace et de temps, quantités qu'ils nomment respectivement la "longueur de Plank" et "le temps de Planck". Peut-on avoir moins de temps que le temps de Planck? Moins de distance que la distance de Planck? Ce sont là des questions compliquées et encore mal connues, qui font l'objet de recherches intenses depuis plus d'un siècle maintenant.

Questions de moyennes

Si en physique, «la taille, ça compte», nous allons voir que «la moyenne, ça compte tout autant».

En effet, la deuxième grande différence entre le monde quantique et notre monde habituel, c'est la possibilité de combiner des états de base avec des coefficients complexes.

De quoi s'agit-il plus précisément ?

On ne va pas approfondir l'aspect mathématique de cette question pendant cette saison, mais on peut la résumer par une comparaison.

Si je règle mon four à micro-ondes, je peux le régler sur 750 watts ou sur 900 watts. Je n'ai aucune possibilité de le régler sur des valeurs intermédiaires. Ce sont ses états de base.

En revanche, je peux décider de le faire fonctionner pendant 30 secondes à 900 watts, puis pendant 10 secondes à 750 watts. C'est une combinaison des deux états de base.

Dans le monde quantique, je pourrais faire encore mieux. Je pourrais par exemple de faire fonctionner à « (30 + 2i) fois 900 watts plus (10 + 5i) fois 750 watts». Des quantités comme «(30 + 2i) watts» ne correspondent absolument à rien dans notre monde habituel.

Alors comment passe-t-on de ces quantités bizarres aux quantités que nous observons dans le monde réel ?

Ici, le principe d'un très grands nombre de grains, comme dans le chapitre précédent, va se combiner avec celui des probabilités et des moyennes, comme nous allons le voir maintenant avec deux exemples.

Température moyenne

Nous avons vu dans l'épisode S02 E04 que certains systèmes quantiques peuvent avoir une température qui est une combinaison de deux températures de base.

Laissons tomber pour le moment les nombres complexes [5] et formons un état quantique à partir de nombres "normaux".

Imaginons une poignée de molécules d'eau, et imaginons qu'elles se trouvent toute dans l'état quantique suivant:

❘T⟩ = 75% ❘20°C⟩ + 25% ❘30°C⟩

ce qui signifie que si je mesure leur température, chacune d'entre elle a 75% de chances de basculer dans l'état 20°C et 25% de chances de basculer à 30°C.

Que se passera-t-il si je mesure la température d'une micro gouttelette d'eau composée de 400 milliards de milliards de molécules d'eau préparées de cette manière. Je ne prends pas ce nombre au hasard, c'est à peu près le nombre de molécules d'eau qui composait la plus petite micro gouttelette d'eau jamais analysée à ce jour. Quelle température vais-je mesurer ?

La réponse est simple, j'obtiendrai au moment de la mesure une gouttelette composée de 300 milliards de milliards de molécules à 20°C et de 100 milliards de milliards de molécules à 30°C. Même s'il y a quelques centaines gouttelettes de plus que 300 milliards de milliards d'un côté et autant de moins de l'autre, ça ne changera rien au résultat final. Mon thermomètre indiquera la température moyenne de la gouttelette, c'est à dire 25°C.

Aimantation moyenne

"Aimantation" moyenne

"Aimantation" moyenne

Revenons maintenant à l'expérience de Stern et Gerlach de nos débuts.

Imaginons que les atomes d'argent, au lieu de se présenter individuellement, se présentent par paquets de quatre comme sur la figure suivante. Un calcul rapide montre que, si chacun d'entre eux a une chance sur deux de basculer dans la position "up" et une chance sur deux de basculer dans l'état "down", on obtiendra la statistique suivante :

  • 4 up -> 1 fois sur 16
  • 3 up 1 down -> 4 fois sur 16
  • 2 up 2 down -> 6 fois sur 16
  • 1 up 3 down -> 4 fois sur 16
  • 4 down -> 1 fois sur 16

On le voit, les état intermédiaires, qui n'existent pas avec des particules indépendantes, apparaissent très vite dès qu'on a des agrégats de plusieurs particules. Chaque nouvelle particule, rajoute une possibilité intermédiaire, selon une formule mathématique dite "triangle de Pascal"

  • 1
  • 1 1
  • 1 2 1
  • 1 3 3 1
  • 1 4 6 4 1
  • 1 5 10 10 5 1
  • 1 6 15 20 15 6 1
  • 1 7 21 35 35 21 7 1
  • 1 8 28 56 70 56 28 8 1

Avec des "micro gouttelettes" d'atomes d'argent, composées chacune de milliards de milliards d'atomes, la presque totalité d'entre elles se rassembleront aux alentours de la position médiane, comme s'il n'y avait pas d'aimantation du tout [6].

Questions de durées

Il faut encore tenir compte d'un autre phénomène lorsqu'on réfléchit au passage du monde quantique au monde classique. Ce phénomène se nomme «décohérence quantique».

De quoi s'agit-il ?

Les état quantiques «combinés», du genre :

❘T⟩ = 75% ❘20°C⟩ + 25% ❘30°C⟩

pour la température d'un groupe de particules sont extrêmement fragiles. Ils disparaissent dès qu'ils interagissent avec leur environnement et cela, très, très vite.

Et par très très vite, je veux dire vraiment très vite !

A quel point ?

La vitesse de décohérence dépend de trois facteurs principaux:

  • La masse de l'objet
  • la taille de l'objet
  • la densité de son environnement

Notre micro gouttelette d'eau de tout à l'heure, dans un excellent vide de laboratoire, resterait dans un état combiné environ un millionième de milliardième de milliardième de seconde. Autant dire que notre expérience de tout à l'heure n'était qu'une expérience de pensée!

Quant au célébrissime "Chat de Schrödinger", sensé être dans un état du genre:

❘Chat⟩ = 50% ❘Vivant⟩ + 50% ❘Mort⟩

Il ne pourrait pas rester dans cet état combiné assez longtemps pour que ça puisse avoir une quelconque signification.

En revanche, un atome seul, dans l'obscurité, dans un vide de laboratoire poussé, à une température proche du zéro absolu, peut rester dans un état superposé plus de trente minutes [7].

Questions non résolues

Taille des objets, comportement statistique et durée de la plupart des phénomènes quantiques, voilà donc trois grandes pistes pour expliquer comment on passe des lois du monde quantique à celles du monde classique.

Il reste toutefois encore beaucoup de travail à réaliser avant que tout soit parfaitement clair.

Pour aller plus loin

Notes et références

[1]Notamment parmi ceux qui relèvent des très basses températures et de la supraconductivité.
[2]qui dépend évidemment de la manière dont on monte l'expérience.
[3]A quelques paramètres près dans l'expérience réelle, mais c'est le principe général qui nous occupe ici.
[4]ou pour être plus rigoureux, de «moment magnétique»
[5]Ils sont presque toujours indispensables mais de temps en temps on peut s'en passer et c'est ce qu'on va faire ici.
[6]Ce qui aboutirait dans l'expérience à une tache centrale unique comme dans certaines présentation d'un "résultat attendu" selon la physique classique. Le schéma qui montre un trait vertical présente toutes les possibilités sans mettre en évidence que les valeurs centrales seraient beaucoup plus probables que les valeurs extrêmes.
[7]Room-Temperature Quantum Bit Storage Exceeding 39 Minutes Using Ionized Donors in Silicon-28

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