S03 E07 Les fentes de Young

Publié le lun. 15 juin 2020 dans PQT , modifié le:



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L'expérience des fentes de Young contient, selon Richard Feynman, tout le «mystère» de la physique quantique.


«Tout le mystère de la physique quantique»

Le grand physicien Richard Feynman est connu pour ses formules choc. Il a notamment dit «Si vous pensez comprendre la physique quantique, c'est que vous ne la comprenez pas!»

Il a dit aussi que tout le mystère de la physique quantique est présent dans l'expérience des fentes de Young.

Et comme souvent, comme toujours probablement, il avait raison. Nous avons en effet suffisamment avancé dans notre étude pour avoir réalisé qu'il y a dans la physique un «mystère» que personne, à l'heure actuelle, ne «comprend».

Certes, nous avons commencé à comprendre la procédure mathématique fondée sur ce que nous avons appelé «les postulats de la mécanique quantique». Cette procédure mathématique fonctionne extrêmement bien. Un siècle après sa découverte, elle n'a jamais été mise en défaut. Bien au contraire, elle donne des résultats d'une précision extraordinaire. Aucune autre théorie scientifique n'a jamais été vérifiée avec autant de précision (de l'ordre de 13 décimales en 2010).

Mais le «réel» que décrit cette procédure mathématique ne correspond à rien de ce que nous connaissions jusqu'ici.

Par moments, cette procédure mathématique manipule des quantités entières de certaines propriétés, comme celles qu'on trouve quand on manipule des corpuscules. Une particule élémentaire aura ainsi une certaine masse, une certaine charge électrique, un certain spin, etc. Comme on s'attendrait à en trouver dans des corpuscules. Et pourtant, nous allons le voir, les particules élémentaires ne peuvent pas être des corpuscules. Ou alors, elles ne le sont que par moments mais la plupart du temps elle n'en sont pas, parce qu'elles n'ont pas de position précise. Si elles étaient des corpuscules, il faudrait que ces corpuscules puissent être à deux endroits à la fois. Il faudrait aussi, dans certains cas, qu'ils puissent disparaître sans cause locale. Bref, si c'étaient des corpuscules, ce seraient des corpuscules «magiques» qui ne se comporteraient pas du tout comme ce que nous appelons habituellement des corpuscules. Comme le disait Richard Feynman (encore lui!) «Vous pouvez toujours imaginer l'électron comme un corpuscule si ça vous amuse, mais à condition de n'en tirer strictement aucune conclusion». À ce compte-là, autant abandonner l'idée.

À d'autres moments, cette procédure mathématique utilise les mêmes techniques que celles qu'on utilise pour modéliser la physique des ondes. C'est ce qui explique qu'on parle, et nous le ferons, de «paquets d'onde», de «fonctions d'onde» ou d' «ondes de probabilité». Pourtant, comme le dit un autre grand physicien, Leonard Susskind, «Quand la physique quantique parle de fonctions d'onde, la plupart du temps, il n'y a pas d'ondes du tout». À ce compte-là, autant abandonner cette autre idée.

Au total, les particules élémentaires (continuons à les appeler "particules" faute de mieux) ne sont ni des ondes, ni des corpuscules, ni non plus un quelconque mélange des deux.

Alors que sont-elles? Quel "réalité" fondamentale est modélisée par les procédures mathématiques qu'il est convenu d'appeler «de l'école de Copenhague»?

Personne n'en sait rien. Certains pensent qu'il ne faut pas se poser ce genre de question et disent «calcule et tais-toi». D'autres envisagent que les constituants fondamentaux de l'Univers puissent être faits d'information pure et abstraite. D'autres enfin imaginent un «réel voilé» à jamais inaccessible.

Et moi?

Moi, je me dis que les humains ne connaissent l'existence de toutes ces choses que depuis un siècle environ. Autant dire rien. Il nous faut faire preuve de beaucoup de modestie.

Quoi qu'il en soit, suivons Feynman dans l'expérience des fentes de Young. Elle nous permettra d'acquérir une vision plus claire de ce qu'il y a à savoir, dans l'état actuel de la science, et de ce qui nous échappe encore.

Corpuscules et particules quantiques

Commençons avec un corpuscule classique:

Corpuscule

Ce corpuscule a une position bien précise, il a aussi une vitesse bien précise. Connaissant sa position initiale et sa vitesse à chaque instant, on peut en déduire sa trajectoire. Elle est représentée par la flèche verte.

Voyons maintenant si une particule élémentaire peut ressembler à ça. Voici la représentation d'une particule élémentaire:

Paquet d'ondes

ATTENTION Ce qui est représenté ici, on ne le dira jamais assez, ce ne sont plus des objets "réels". Ce sont désormais des objets mathématiques abstraits.

Notre particule élémentaire est représentée par une spirale. On appelle ça un paquet d'ondes. Ce paquet d'ondes se déplace selon la même direction que le corpuscule de tout à l'heure, mais là aussi, ce n'est qu'une manière mathématique et très simplifiée de présenter les choses. En réalité, et c'est ce que va préciser l'expérience des fentes de Young, il n'y a plus ni position, ni vitesse, ni trajectoire. La flèche verte représentée ici ne représente plus qu'une moyenne de tous les chemins que peut suivre la particule élémentaire.

Paquet long

Regardons de plus près notre paquet d'ondes.

Si nous avions choisi une particule plus légère, notre paquet d'ondes serait plus étalé.

Avec une particule beaucoup plus lourde au contraire, le paquet d'ondes aurait été beaucoup plus serré.

Paquet court

Ce comportement du paquet d'ondes est prévu par la célèbre équation de Schrödinger dont nous aurons l'occasion de reparler, ainsi que par le principe d'indétermination de Heisenberg. Le formalisme de Schrödinger et celui de Heisenberg sont deux manières mathématiquement différentes d'exprimer les mêmes choses.

Nous avons ainsi un premier début d'explication du fait que nous ne percevions jamais ce genre d'effet quantique à notre échelle. Tous les objets que nous avons l'habitude de manipuler sont tellement plus massifs que les particules élémentaires que leurs paquets d'ondes sont très étroits. Au point que leur étalement devient négligeable et qu'on peut considérer qu'ils ont une position bien déterminée à chaque instant. Ce n'est pas le cas avec un électron ou un photon, par exemple. Ni même avec des petites molécules.

Probabilité maximale

Rapprochons nous maintenant du paquet d'ondes.

Il ne s'agit pas vraiment d'ondes, en fait. Dans une vraie onde, quelque chose bouge ou change. Par exemple dans une onde sonore, ce sont les molécules de l'air qui se rapprochent ou s'éloignent les unes des autres. Dans une onde à la surface de l'eau, il y a des gouttes d'eau qui bougent. Ici rien de tel, ce qui bouge ce sont des amplitudes de probabilité.

Qu'est-ce qu'une amplitude de probabilité? C'est ce qu'on appelle un nombre complexe. Un nombre complexe diffère des nombres dont nous avons l'habitude en ce qu'il a un angle. (Les mathématiciens disent «un argument» et les physiciens disent «une phase», mais ça revient au même, c'est un angle). Un nombre complexe peut être représenté par une flèche. Dans le cas ci-dessus, la flèche est grande. Ça représente le fait qu'à cet endroit l'amplitude de probabilité est grande. Et donc que la probablité de trouver la particule ici est grande. Cette amplitude de probabilité a aussi un angle de 90° car on mesure les angles, par convention, en partant de la droite et en tournant en sens inverse de aiguilles d'une montre. Mais pour l'instant, cet angle n'a aucune incidence dans nos calculs. La flèche est grande, donc la probabilité de trouver la particule ici est grande.

Probabilité moyenne

Ici, la probabilité est plus petite et l'angle est de 45°.

Probabilité faible


Ici, la probabilité est encore plus petite et l'angle est de 270° (3/4 de tour).

Rappelons-le encore une fois, ce qui est représenté ici n'est donc pas une onde réelle, ni une spirale réelle, ni une trajectoire réelle.

Il ne s'agit que d'amplitudes de probabilités, qui sont représentées par des flèches tournantes. ces flèches tournantes sont d'autant plus longues que la probabilité de détecter la particule à un endroit particulier de la trajectoire moyenne représentée par la flèche verte est grande. La particule n'a donc pas de trajectoire réelle, seulement une trajectoire la plus probable. Et elle a une certaine probabilité d'être détectée en chaque point de cette trajectoire moyenne. Mais elle a aussi une certaine probabilité d'être détectée ailleurs, y compris au dessus ou sur les côtés de la trajectoire moyenne représentée par la flèche verte. Notre flèche verte, notre spirale et nos flèches blanches ne sont que des représentations graphiques de l'évolution des nombres complexes qu'on appelle «amplitudes de probabilités», conformément à l'équation de Schrödinger. Nous sommes en pleine abstraction mathématique.

Et nous commençons à comprendre pourquoi Feynman disait: «Vous pouvez toujours imaginer l'électron comme un corpuscule si ça vous amuse, mais à condition de n'en tirer strictement aucune conclusion».

Proba 100%

Regardons encore un peu notre paquet d'ondes.

Nous avons 100% de chances de détecter la particule dans cette zone. (En fait presque 100%, car il en reste toujours un petit peu sur les côtés).

Proba 50% droite Proba 50% gauche

Et nous avons évidemment 50% de chances de la détecter à gauche du maximum et 50% de chances de la détecter à droite du maximum.

Notre dispositif

Voici maintenant notre dispositif expérimental:

Dispositif expérimental

Si vous avez déjà étudié les fentes de Young, vous savez que ce n'est pas le dispositif habituel et historique pour cette expérience. Il s'agit en effet d'une variante, qui est souvent utilisée dans les laboratoires de physique. Ce dispositif sera plus simple pour expliquer les choses. Les résultats seront les mêmes que pour les fentes de Young dans leur version historique et nous pourrons transposer facilement ce que nous aurons appris ici.

Comme dans l'expérience originale de Young, nous ferons notre expérience avec des particules de lumière, des photons, mais nous remplaçons les fentes par une «lame semi-réfléchissante». Une lame semi-réfléchissante a la propriété qu'elle va laisser la moitié des photons la traverser, tandis que l'autre moitié sera réfléchie, comme par un miroir.

Ou plutôt, ça, c'est ce qui se passerait si les photons étaient des corpuscules.

En fait, ce qui va se passer est plus subtil que ça. Nous ne devons plus réfléchir en termes de positions et de trajectoires tant que nos photons n'interagisent pas de manière détectable avec notre dispositif. Souvenez-vous, nous ne devons plus désormais réfléchir qu'en termes de probabilités de détection (c'est à dire d'interaction laissant une trace).

Séparation 50%-50%

Et du coup, nous devons faire tous nos calculs «comme si» le paquet d'ondes se partageait en deux. La moitié des probabilités de présence part vers la branche de gauche tandis que l'autre moitié part vers la branche de droite.

«Oui, me direz-vous, mais n'est-il pas possible de mettre des détecteurs pour savoir si le photon est parti à droite ou à gauche?»

Bien sûr que si. Faisons-le tout de suite et regardons ce qui va se passer. Pour l'instant, mes détecteurs ne sont pas branchés.

Avec des détecteurs

Le détecteur de gauche a une chance sur deux de détecter le photon et le détecteur de droite une chance sur deux aussi.

Maintenant, branchons les détecteurs.

Détection à gauche

Voilà. Le photon a été détecté à gauche. S'il a été détecté à gauche, c'est qu'il n'a pas été détecté à droite. Du coup, le paquet d'onde de gauche représente 100% des probabilités puisque le photon est dans la branche de gauche. Et l'autre s'est effondré à 0% puisqu'il n'est pas dans la branche de droite. Le paquet d'onde de gauche a grossi et celui de droite a disparu. C'est ce qu'on appelle parfois «l'effondrement du paquet d'ondes» ou la «réduction du paquet d'ondes» ou encore, de manière plus mystérieusement poétique, «le collapsus du psi».

«Attendez, me direz-vous, ce sont là des complications mathématiques bien abstraites et bien inutiles pour exprimer une réalité autrement plus simple. Il n'y a eu aucun dédoublement du paquet d'ondes. Et donc aucune disparition mystérieuse de l'un des deux paquets par la suite. Le paquet d'ondes est parti ou bien à gauche ou bien à droite et pas des deux côtés à la fois. C'est pas plus compliqué que ça!»

D'une certaine manière vous avez raison. Tant que les détecteurs sont branchés, il est plus simple de se dire que le paquet d'ondes est passé soit d'un côté soit de l'autre et le monde reste "classique". Ce n'est que s'ils ne sont pas branchés que le mystère quantique va apparaître, comme nous allons le voir maintenant.

Quand deux paquets d'onde se rencontrent...

Enlevons nos détecteurs, de manière à rester dans l'incertitude sur le chemin pris par le photon et imaginons pour le moment, aussi artificiel que ça puisse paraître, que le paquet d'ondes s'est séparé en deux.

Arrivée double

Les deux paquets d'ondes de probabilités se sont séparés. Ils ont ensuite été réfléchis par les miroirs représentés en bleu et ils vont maintenant sur retrouver sur l'écran de détection au fond du laboratoire.

Rapprochons-nous un peu...

Tout ça pour ça ?

Arrivée double zoom

Selon la description de la mécanique quantique, les deux paquets d'ondes qui s'étaient séparés dans la lame semi réfléchissante vont maintenant se rassembler sur la cible.

50%+50%=100% Autrement dit, notre photon aura de nouveau 100% de chances d'être détecté au point de rencontre. De nouveau, le formalisme bizarre des postulats et des mathématiques de «l'école de Copenhague», avec leurs ondes de probabilités qui se séparent, qui peuvent disparaître de manière inexplicable et qui finissent par se rassembler si personne ne les a observés en chemin, tout ça n'apporte rien par rapport à la théorie classique selon laquelle le photon serait passé ou bien par la gauche ou bien par la droite.

Alors tout ça pour rien ?

Regardons d'encore un peu plus près et aussi un peu sur le côté, mais avant ça, revenons un peu aux mathématiques des nombres complexes.

Ajouter des nombres complexes

Nous avons vu que d'après les mathématiques de la mécanique quantique, les amplitudes de probabilités sont des nombres complexes. C'est d'ailleurs ce qui les différencie des probabilités elles-mêmes: Une probabilité, c'est toujours un nombre ordinaire, entre 0% et 100%, autrement dit entre 0 et 1.

Mais comment fait-on pour ajouter des nombres complexes?

Il ne faut pas tenir compte seulement de leur valeur (que les mathématiciens appellent leur "module"), il faut aussi tenir compte de leur angle (que les mathématiciens appellent leur "argument").

Un petit dessin vaut mieux qu'un long discours:

Ajouter des nombres complexes

Si nous représentons les nombres complexes par des flèches, la manière de les additionner peut être représentée de manière très simple: Il suffit de mettre les flèches bout à bout.

  • Si les deux nombres complexes ont le même angle, le résultat est la somme de leur valeurs, en gardant le même angle.
  • Si les angles sont différents, le résultat est plus difficile à calculer mais facile à représenter visuellement. C'est la petite flèche noire en haut et à droite.
  • Enfin, si les angles sont opposés, alors le résultat est celui de la soustraction des valeurs. Et si les valeurs sont égales, comme en bas et à droite, alors le résultat de l'addition donne… zéro!

Revenons maintenant dans notre laboratoire pour ajouter nos amplitudes de probabilité.

Addition des amplitudes de probabilité

Arrivée en phase

Ici, nos deux paquets d'onde arrivent exactement en même temps. Ils sont «en phase». À chaque instant, les petites flèches qui représentent les amplitudes de probabilité et qui arrivent sur la cible le font avec le même angle. Sur cette image les deux amplitudes de probabilité représentées par les petites flèches grises vont s'additionner de manière classique. Au total, si les deux paquets d'onde se réunissent exactement ici, aucun souci, la probabilité de détecter le photon ici sera de 100%.

Mais, car il y a un "mais", vous vous souvenez peut-être que nous avions dit que la "trajectoire" verte n'était pas vraiment une trajectoire. Seulement la "trajectoire la plus probable". Les paquets d'onde sont étalés dans l'axe de leur déplacement mais il sont aussi un peu étalés sur les côtés. Nous n'avons pas représenté cet étalement sur les côtés pour ne pas trop embrouiller le dessin, mais il existe aussi. En fait, au lieu d'une seule jolie spirale pour représenter un photon qui avancera sur une trajectoire bien précise, il aurait fallu dessiner tout un nuage de spirales autour de l'axe. On n'aurait plus rien compris, mais le dessin aurait été plus exact. Et surtout, souvenons-nous qu'il n'y a pas dans le monde réel de flèches vertes, ni de petites flèches grises qui tournent, ni de spirales rouges et bleues, tout cela ne sont que des représentations graphiques d'une abstraction mathématique, à savoir un nuage de nombres complexes dont l'angle change au fil du temps.

Du coup que se passe-t-il si les deux nuages de probabilités n'arrivent pas exactement au même moment, ou s'ils n'arrivent pas exactement dans l'axe?

Que se passe-t-il dans un cas comme celui-ci par exemple ?

Arrivée en phase

On le voit tout de suite sur le dessin. Ici les amplitudes de probabilité arrivent en opposition de phase. Autrement dit, à chaque instant, elles ont la même valeur mais des angles opposés. Résultat: elles se neutralisent mutuellement!

Conséquence: La probabilité que le photon se manifeste à cet endroit de l'écran tombe à zéro ! Il ne peut pas arriver à cet endroit !

Chose importante, ce phénomène ne se produit pas si le photon a été détecté à gauche ou à droite. Autrement dit, il ne se produit pas si un observateur sait quel chemin le photon a pris. L'observateur ne joue d'ailleurs pas de rôle particulier dans cette affaire. Si je remplace l'observateur par un appareil de détection, le phénomène ne se produira pas non plus. Quoi que je fasse, si le photon arrive soit de la droite soit de la gauche comme ici, ce phénomène d'annulation mutuelle des nombres complexes, qu'on appelle aussi un phénomène d'interférence, ne se produira pas.

Arrivée de gauche

Résumons-nous

Proba 100%

Les postulats bizarres, abstraits et compliqués de la mécanique quantique prévoient exactement le même résultat que les postulats beaucoup plus simples de la mécanique classique qui raisonnent en termes de corpuscules, qui suivent exactement la trajectoire prévue, lorsque les particules passent soit par la gauche soit par la droite.

En revanche, les postulats bizarres de la mécanique quantique prévoient une impossibilité pour les particules d'arriver à certains endroits de la cible, et cela uniquement dans le cas particulier où il est impossible de savoir de quel côté la particule est passée. La mécanique classique ne prévoit rien d'aussi bizarre.

Qui a raison et qui a tort ?

Dans ce genre de situation, les physiciens ne connaissent qu'une seule méthode pour départager les hyptohèses. Inutile de discuter indéfiniment, on monte l'expérience en vrai et on demande à la Nature de dire qui a raison. C'est ce que nous allons faire maintenant.

Le verdict de la Nature

Voici le résultat obtenu dans de vrais laboratoires.

Tonomura et al, double fente 1989

Cette expérience a été réalisée en 1989 par des chercheurs japonais avec des électrons.

Au début, les électrons arrivent un par un et on ne voit rien de particulier. Mais au fur et à mesure qu'ils arrivent, on voit apparaître le phénomène prévu par la mécanique quantique. Malgré quelques imprécisions expérimentales, on voit nettement des bandes plus sombres dans lesquelles les électrons se manifestent beaucoup moins, parce qu'à ces endroits là, leurs amplitudes de probabilité se contrarient mutuellement.

Ce phénomène ne s'observe pas uniquement avec des photons ou des électrons. On l'observe aussi avec certaines petites molécules, notamment des molécules de fullerène.

Victoire éclatante de la mécanique quantique! Elle a prévu un phénomène qu'on constate effectivement et que la mécanique classique est incapable d'expliquer.

Il reste tout le «mystère» de la mécanique quantique!

Alors, pour finir, peut-on «comprendre» la mécanique quantique?

Tout dépend de ce que vous appelez «comprendre».

Nous disposons d'une procédure mathématique très abstraite qui nous permet de prévoir un certain nombre de phénomènes. Pour autant, est-ce que nous «comprenons» ces phénomènes?

Assurément, rien de semblable ne se produit jamais à notre échelle. Personne n'a jamais vu un nuage de probabilité de balle de tennis se mélanger avec une autre moitié de lui-même pour empêcher la balle d'arriver à certains endroits du court de tennis. Comme le dit Leonard Susskind, des millions d'années d'évolution ont façonné notre cerveau de manière à ce qu'il puisse avoir une intuition fiable en ce qui concerne la trajectoire des proies et accessoirement des balles de tennis. Pas en ce qui concerne le mouvement des électrons et des photons individuels.

Il faut cependant préciser une chose: Bien que la théorie ait commencé à être vérifiée par l'expérience depuis Young lui-même, ce n'est que depuis quelques dizaines d'années que l'on est capable de faire l'expérience exactement comme dans notre description, en envoyant les photons ou les électrons un par un.

Expérience "classique" des fentes de Young

En effet, c'est très difficile d'être certain d'envoyer les particules une par une. Jusqu'à assez récemment, l'expérience se faisait avec un cache muni de deux fentes, d'où le nom de «fentes de Young». On envoyait un faisceau lumineux ou un faisceau d'électrons en direction de ces deux fentes. Bien sûr, la plupart des particules finissaient leur course quelque part sur le cache. Il y avait énormément de pertes. C'est d'ailleurs de cette manière que l'expérience est encore réalisée de nos jours dans les lycées, avec un rayon laser et un cache muni de deux fentes transparentes. Le résultat est très spectaculaire mais l'expérience n'est pas, si on veut être rigoureux, totalement probante. En effet, il est impossible dans ces conditions d'être certain que les particules ont bien été envoyées une par une dans le dispositif. Il aurait pu rester des effets inconnus liés à des paires de particules.

Ce n'est donc que depuis une trentaine d'années que l'expérience est réalisée avec de nouveaux dispositifs, qui ressemblent plus à celui que nous avons modélisé dans cet article et dans lesquels on sait envoyer les particules une par une, avec très peu de pertes. Personne parmi les physiciens ne doutait plus depuis longtemps du résultat qui serait obtenu mais avec ces nouveaux dispositifs expérimentaux, les dernières objections possibles ont été levées et la victoire de la théorie quantique est désormais complète.

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