S01 E07 Derniers espoirs classiques

Publié le ven. 07 août 2020 dans PQT , modifié le:

Article précédent   PQT SO1 E07   Article suivant

Nous voici arrivés à l'avant-dernière épisode de notre marche d'approche vers le pays quantique. Nous allons maintenant chercher à expliquer l'expérience de Stern et Gerlach de manière classique.

Comme vous vous en doutez, nous n'y arriverons pas, mais cet échec va nous aider à mieux comprendre les choses.

Deux états observés possibles

Dans les épisodes précédents, nous avons vu que, dans l'expérience de Stern et Gerlach, les atomes d'argent sont observés dans deux états possibles et seulement deux.

Spin "Up"

Spin "Up"

Ou bien ils se dirigent comme ici vers le haut de la cible en suivant le mouvement indiqué par la flèche grise [1].

Et s'ils se dirigent vers le haut, comme ici, C'est parce que leur aimantation est dirigée de telle manière qu'elle repousse l'aimant du dessous.

Leur aimantation [2] a une certaine direction et une certaine intensité, on peut donc la représenter elle aussi par une flèche, ici en vert.

Souvent dans les livres, on appelle les flèches qui représentent les mouvements, comme la flèche grise ici, des "vecteurs".

Mais on appelle aussi "vecteurs" les flèches qui représentent les aimantations, comme la flèche verte ici.

Il y a de bonnes raisons à ça, mais je préfère ne pas parler de vecteurs pour le moment, car ça peut aussi induire parfois en erreur [3].

Spin "Down"

Spin "Down"

Ou bien ils se dirigent vers le bas de la cible comme ici.

Mais ils ne vont jamais au milieu, entre les deux cibles.

États non observés à la sortie l'expérience

Concentrons-nous un instant sur ce phénomène bizarre qui fait qu'on n'observe que des aimantations d'une certaine force vers le haut, ou d'autres aimantations qui ont exactement la même force et qui sont tournées vers le bas.

Mais jamais des aimantations qui conduiraient à des positions intermédiaires.

Quelles pourraient être ces autres orientations ?

En voici quelques exemples:

Spin "un peu vers l'avant"

Spin "un peu vers l'avant"

Spin "plutôt sur le côté"

Spin "plutôt sur le côté"

Attention : Ça ne signifie pas que ces orientations n'existent pas dans la nature ! Bien au contraire, nous apprendrons dans la saison 02 comme on peut en préparer au moyen de ce que Richard Feynman appelait un «dispositif de Stern et Gerlach amélioré».

En revanche, il se trouve qu'on n'en observe jamais dans cette orientation après que les atomes ont interagi avec les aimants. Et c'est bien pour cette raison qu'on n'observe jamais d'atomes d'argent qui arriveraient ensuite entre les deux cibles.

C'est l'interaction avec les aimants qui fait "basculer" (les physiciens préféreront dire qui "projette") les atomes dans l'un de deux seuls états possibles: Aligné dans le même sens que l'aimant, ou aligné dans le sens opposé.

États impossibles

Il existe une troisième sorte d'impossibilité pour les spins [4] et elle est un peu différente des deux précédentes.

S'il est possible, comme nous venons de le dire, de préparer des spins dans n'importe quelle orientation, il est rigoureusement impossible de préparer des spins qui seraient plus intenses ou moins intenses.

Il n'existe pas d'intensités plus petites (ni plus grandes) !

Il n'existe pas d'intensités
plus petites (ni plus grandes) !

L'intensité du spin [5] ne peut prendre qu'une seule valeur. Elle est très petite, puisqu'elle ne vaut que 9.27 10-24 Joules par Tesla dans nos unités de mesure habituelles.

Si on l'exprime dans ce qu'on appelle les «unités atomiques», comme on peut la mesurer dans deux directions et seulement deux, on dit qu'elle peut prendre les valeurs +1/2 ou -1/2, mais l'idée reste la même: Une seule "intensité" élémentaire permise par la nature, avec seulement deux directions possibles.

Cette impossibilité d'avoir des valeurs intermédiaires est d'ailleurs tout à fait caractéristique des comportements quantiques. En effet l'adjectif "quantique" vient du mot latin "quantum" et il correspond au fait qu'il existe dans la nature des quantités minimales de certaines choses.

On ne peut pas avoir moins de lumière bleue qu'une certaine quantité minimale de lumière bleue, on ne peut pas avoir moins d'électricité que celle qui est contenue dans un électron, et on ne peut pas avoir moins d'aimantation que celle qu'on observe dans les atomes de l'expérience de Stern et Gerlach.

C'est un peu bizarre si on imagine les électrons comme des petites billes. Si c'était le cas, et si leur aimantation venait vraiment du fait qu'ils tournent sur eux-mêmes comme on l'a vu dans une vidéo précédente, ça signifierait qu'ils ne peuvent tourner sur eux-mêmes qu'à une seule vitesse, toujours la même. En effet, s'ils tournaient à des vitesses différentes, ils auraient des aimantations différentes, et s'ils tournaient lentement, ils n'auraient presque pas d'aimantation. Or une chose pareille n'a jamais été observée. Le cas représenté sur cette image n'existe pas lui non plus.

Dernières tentatives d'explications classiques

Mais laissons pour le moment de côté cette histoire d'intensité de l'aimantation. Après tout, on pourrait imaginer que comme nos atomes d'argent sont tous chauffés à la même température, et du coup, il pourrait être normal que leurs électrons tournent tous à la même vitesse et qu'ils aient tous des spins de la même intensité. Il serait facile de démontrer que ce n'est pas le cas avec d'autres expériences, mais laissons cela pour le moment et revenons à l'orientation de nos spins.

Est-ce qu'on pourrait imaginer un mécanisme qui ferait basculer les atomes qui arrivent dans notre appareil penchés en avant, comme ici, jusqu'à ce qu'ils atteignent la position de l'atome de droite ?

Possible ? Pourquoi pas ?

Possible ? Pourquoi pas ?

Bien sûr que oui! Tous ceux qui ont déjà joué avec des aimants dans leur enfance le savent, un mouvement comme celui-ci est tout à fait courant. Le pôle nord est attiré par le pôle sud et qu bout d'un moment le petit aimant finit par s'arrêter dans la position la plus stable, celle qui est à l'inverse du plus gros aimant, les pôles opposés se faisant face.

Oui mais voilà, pour expliquer les résultats de l'expérience de Stern et Gerlach de manière classique, il faudrait aussi trouver un mécanisme qui bascule un atome comme celui-ci vers le haut, comme sur cette image, afin qu'il atteigne la cible du haut.

Par quel mécanisme ?

Par quel mécanisme ?

Or un tel mouvement n'a jamais été observé dans le monde classique. Quand on jouait avec des aimants, on a bien vu qu'ils se retournaient toujours avant de s'attirer mutuellement.

Personne n'a jamais vu un aimant penché se redresser dans l'autre sens avant de se retrouver repoussé par l'autre aimant!

Et d'ailleurs les physiciens expliquent ça très bien avec des histoires de couples. Ce mouvement ne peut pas exister. En tout cas pas dans le monde classique.

Or rappelons-nous. dans l'expérience de Stern et Gerlach, il y a autant d'atomes qui vont vers le haut qu'il y en a qui vont vers le bas. Notre mécanisme classique ne peut donc pas expliquer le résultat.

Essayons une dernière idée, un peu plus futée:

Et comme ceci ?

Et comme ceci ?

On a vu que un épisode précédent que les électrons ont tendance à se grouper par paires. Et on sait qu'on peut faire pareil très facilement en faisant des paires d'aimants alignés tête bêche, comme ici à gauche.

Alors peut-être que nos atomes d'argent pourraient faire pareil?

En arrivant près du gros aimant, ils pourraient commencer par s'aligner par rapport à lui, avant d'être séparés du fait de leurs positions inversées.

L'idée est bonne, mais elle ne marche pas. On sent bien intuitivement que quelque chose cloche dans ce mouvement. Les physiciens pourraient d'ailleurs expliquer avec des calculs savants pourquoi ça ne marche pas. Mais surtout, on sait désormais qu'on obtient le même résultat même en s'assurant que les atomes (ou les électrons) arrivent bien un par un, et non pas par paires.

Au final, toutes nos tentatives se soldent par un échec, comme on pouvait s'y attendre. Le phénomène observé dans l'expérience de Stern et Gerlach ne peut pas s'expliquer dans le cadre de la physique classique.

Nous voici donc arrivés sur le seuil de l'étrange monde quantique.

Oh, pour le moment, tout ressemble encore plus ou moins à ce qu'on connaissait jusqu'ici. Après tout, pourquoi nous soucier d'un aussi petit détail. Que nous importe après tout que quelques atomes isolés, dans une expérience bizarre, décident de ne plus respecter les lois habituelles de la physique?

Les physiciens, eux (et les philosophes aussi d'ailleurs), ne raisonnent pas comme ça. Il suffit qu'une seule particule se mette à ne plus respecter les lois universelles pour ces lois cessent totalement d'être universelles. Ils le sentent bien, tout leur monde "classique" est sur le point de changer radicalement.

Et c'est bien ce que nous commencerons à apercevoir dans le prochaine épisode, qui terminera cette première saison et nous donnera un aperçu de la suivante.

Notes et références

[1]Il y a ici une approximation sur laquelle nous reviendrons dans un autre épisode. Disons simplement pour le moment qu'on ne peut pas vraiment définir de trajectoire mais que les atomes qui auront "basculé" dans l'état de spin "Up" au niveau de notre détecteur, comme ici, seront bel et bien observés plus tard dans la cible du haut. Le "chemin" qu'ils prendront entre les deux est une chose plus compliquée qu'en physique classique et en tout cas ça ne sera pas une simple ligne droite.
[2]Il y a ici une autre approximation. Les physiciens ne parleraient pas ici d'aimantation, il utiliseraient un autre mot, plus compliqué. Mais l'idée intuitive reste sensiblement la même.
[3]Il existe beaucoup de sortes différentes de vecteurs et nos flèches vertes et grises ne sont pas tout à fait du même genre. C'est la raison pour laquelle un enseignant comme Leonard Susskind par exemple, appellerait nos flèches grises des «vecteurs 3D» et nos flèches vertes des «pseudo-vecteurs». On ne va pas approfondir ces différences entre les vecteurs maintenant, mais on va les garder dans un coin de la tête car ça nous reservira dans une autre saison de notre voyage, quand nous serons arrivés beaucoup plus loin dans le monde quantique.
[4]À partir d'ici, j'emploierai souvent le mot "spin" à la place de "aimantation de l'atome d'argent". Il s'agit de deux notions différentes si on est rigoureux mais dans le cadre de notre marche d'approche, on peut les considérer comme similaires. Nous n'approfondirons ces différences que bien plus loin.
[5]C'est de nouveau un abus de langage pour donner l'idée générale. Pour être plus rigoureux, il faudrait parler de la «valeur du moment magnétique intrinsèque» et envisager aussi pour notre atome d'argent son «moment cinétique intrinsèque».

Article précédent   PQT SO1 E07   Article suivant