Observations confinées

Publié le mer. 01 avril 2020 dans Blog , modifié le:



Jardin zen


Début mars, le monde entier a basculé dans la panique et la folie. Les humains ne parviennent plus à réfléchir.

Début avril, nous ne faisons plus que réagir instinctivement, sous l'impulsion de nos préjugés personnels, aux informations très lacunaires dont nous sommes abreuvés depuis déjà un mois.


7 avril 2020

Les gens délirent et se rassurent comme ils peuvent. Sur les réseaux sociaux, ils couvrent d'injures quiconque ose insinuer quoi que ce soit qui pourrait accentuer leur sentiment d'insécurité. Même la parole la plus sage du monde, ils ne pourraient pas l'entendre pour le moment.

Assurément, cette pandémie est très sérieuse et elle nécessitait probablement les mesures d'exception qui ont été prises un peu partout dans le monde. Mais je voudrais garder ici la trace d'une partie au moins de la folie mondiale qui l'accompagne.

  • Il est devenu impossible, sous peine des plus graves accusations, de comparer le nombre des victimes du COVID-19 à celui des gens qui meurent chaque année d'autres choses. De la pollution, de dépression ou de la malbouffe par exemple.
  • Alors même que nous ne savons à peu près encore rien de ce virus, chacun y va de son «bon sens» et s'empresse d'expliquer tout et son contraire. On recherche déjà les fautifs. On trouvera bientôt des boucs émissaires. Les pétitions circulent pour que tous les citoyens, devenus subitement experts médicaux, imposent au gouvernement tel ou tel traitement médical dont ils ignorent tout.
  • Évidemment les théories du complot fleurissent. Leurs auteurs comme ceux qui les relayent accusent les médias, rebaptisés "''merdias''", de tous les maux, mais ils continuent à les écouter en boucle jusqu'à la nausée.
  • Je vois de temps en temps, lorsque je vais faire quelques courses, des regards en coin qui ne sont pas loin d'appeler à la chasse aux sorcières. Contre les tsiganes, les étrangers, les "parisiens" (dans mon genre) et les personnels de santé, tous soupçonnés de véhiculer la maladie. Certains ne répondent plus à un simple «bonjour» de loin et détournent la tête, de peur sans doute d'être contaminé par le regard d'un étranger.
  • Alors que le premier ministre a demandé l'accord du parlement pour interdire aux citoyens de s'éloigner de plus d'un kilomètre de chez eux et pour une durée maximale d'une heure, certains maires, sans rien demander à personne, ont ramené cette distance maximale à 10m. Dans une autre commune, la durée maximale d'utilisation des bancs publics est limitée à 2 minutes. La police municipale veille.
  • On a vu des infirmières priées de ne plus rentrer chez elles, de peur qu'elles ne rapportent la maladie.
  • On observe une diminution de moitié du nombre d'hospitalisations pour des crises cardiaques ou des AVC. Ceux qui en sont victimes hésitent à appeler les secours, de peur sans doute de se retrouver hospitalisé en ce moment. Ce qui se comprend facilement quand on voit la description qui est donnée, heure par heure, de la situation dans les hôpitaux.
  • Il est désormais interdit d'accompagner ses proches dans leurs derniers instants. Ni même de les revoir une dernière fois avant la fermeture du cercueil. Les cérémonies de funérailles sont elles aussi interdites.
  • Dans tous les pays ou presque, les droits fondamentaux sont suspendus avec l'accord de tous ou presque. On ferme les frontières. Big Brother est aux aguets. Il pourrait bientôt prendre le pouvoir sous les applaudissements de la foule.
  • La justice est quasiment à l'arrêt. On annonce déjà qu'il lui faudra plusieurs années pour rattraper le retard. Pour la première fois depuis la révolution, des citoyens sont placés ou maintenus en détention provisoire sans le contrôle d'un juge. Les modalités d'application du confinement sont confiées au discernement (on n'ose pas dire à l'arbitraire) des policiers. Suivant les circonstances, l'achat d'un gâteau (pas vraiment un achat de première nécessité, c'est vrai) est toléré ou sanctionné par une amende de 135 €.

8 avril

  • Une réunion importante pour l'avenir de l'Union Européenne devrait se tenir aujourd'hui. Il s'agira d'envisager les mesures économiques pour la sortie de crise. Un échec collectif de cette sortie de crise signifierait probablement la fin de l'UE telle que nous la connaissions jusqu'ici.

9 avril

  • La réunion importante a échoué. Les dénonciations anonymes ou pas auprès de la police des non-respects du confinement explosent.
  • Mais dans le même temps, des gestes de solidarité exemplaires se mettent parfois en place. Le meilleur côtoie le pire.

14 avril

On parle maintenant de plus en plus souvent de la possibilité de maintenir le confinement jusqu'au 31 décembre pour les personnes âgées!

Quelques rares voix s'élèvent contre cette hypothèse qui reviendrait à priver d'une liberté fondamentale toute une partie de la population, dans son ensemble et d'une manière discriminatoire, et sans le contrôle du juge.

Il semblerait que ce soit permis par la loi d'urgence du 23 mars 2020 et pas forcément contraire à la constitution ni même aux droits de l'homme, du moment que c'est «dans l'intérêt général».

Ça fait un peu froid dans le dos quand même et ça repose la question de la différence entre ce qui est légal et ce qui est moralement acceptable.

Et toute la question du contrat social aussi, au passage.

17 avril

La question du '''confinement des «personnes à risque»''' fait désormais débat, notamment en ce qui concerne les personnes âgées. Et ce débat est intéressant.

  • D'un côté ceux qui ne comprennent même pas qu'on puisse s'opposer à cette mesure. «''Il faut demander aux personnes âgées de rester au maximum chez elles, c'est une évidence''.», disent-ils.
  • De l'autre ceux qui disent: «''Là n'est pas la question, tout le monde est d'accord avec ça. La question est de savoir s'il faut les y '''contraindre''' par la force, collectivement et sans prendre en compte les situations individuelles, alors qu'on laissera libres les autres catégories de la population en s'appuyant sur leur sens des responsabilités''».

L'académie de médecine vient de prendre la position suivante:

« La tentation simplificatrice consistant à gérer cet épisode par tranches d'âge et à imposer aux personnes âgées, au nom de leur propre protection, de rester confinées n'est pas satisfaisante»
«[…] elle estime qu'il ne faut pas davantage stigmatiser les personnes que l’on dit fragiles et plaide pour une simple recommandation de rester chez soi et non une réglementation contraignante, afin de ne pas faire de ces personnes des "citoyens de second rang."»
(https://www.bfmtv.com/sante/l-academie-de-medecine-deconseille-le-confinement-obligatoire-des-personnes-fragiles-apres-le-11-mai-1894415.html)

Il y a quelques jours, Mathieu Potte-Bonneville, philosophe et directeur du département culture et création du Centre Pompidou, disait dans une interview à Usbek & Rica:

«Depuis le début de l’épidémie, il y a une tension entre deux lectures de la distanciation sociale:
d’un côté, l’incitation civique mutuelle, l’appel réciproque à prendre soin les uns des autres ;
de l’autre, une interprétation verticale, injonctive, l’idée qu’il n’y a de politique que par l’imposition verticale de règles à ces imbéciles de français qui ne savent pas faire attention à eux, comme si la sagesse des gouvernants devait chaque fois pallier l’irresponsabilité des gouvernés.»
( https://usbeketrica.com/article/produire-des-transformations-a-la-hauteur-evenement )

8 mai

Alors que tout le monde en France s'apprête à commencer le déconfinement, deux articles attirent mon attention:

Le secrétaire général des Nations Unies observe une «  avalanche de haine et de xénophobie  » . Il ne mentionne aucun pays en particulier, mais ça s'est vu partout dans le monde, y compris en Chine vis à vis des étrangers d'origine africaine. Le réflexe du bouc émissaire et de la peur de "l'étranger qui apporte la maladie" sont universels.

La newsletter TTSO relève: «  nous sommes passés d'un régime de libertés à un régime d'exception où le gouvernement peut suspendre par décret des droits fondamentaux (aller et venir, se réunir, etc.) et ce -- et ça c'est nouveau ! -- sans aucun horizon de temps ! L'état d'urgence pouvait se comprendre lorsqu'il correspondait à la période de confinement, dès lors qu'il lui survit, il n'est plus justifié que par la présence du virus, dont on ne sait absolument pas quand un vaccin viendra nous débarrasser. L'état d'urgence devient donc de fait notre nouvelle règle de droit permanente.  »

Sur le plan économique, la situation est similaire. Le virus nous a fait basculer dans économie très largement dirigée. Certes, nous ne sommes pas dans une dictature, mais nous ne sommes clairement plus non plus dans une démocratie libérale. Pour combien de temps? Faut-il s'en plaindre? Trop tôt pour répondre à ces questions.

9 mai

Je viens de voir sur Facebook des messages contre les applications de traçage Covid, au nom du respect de la vie privée des citoyens. On vit vraiment une époque formidable.

Synthèse provisoire

Il a suffit que les habitants des pays riches n'achètent que des produits et des servives nécessaires pendant deux mois pour que toute l'économie mondiale s'effondre. C'est quand même à méditer.

Et tout semble se passer comme si nous avions tous oublié que nous sommes mortels. Pour un peu, nous serions prêts à cesser de vivre pour ne pas mourir. Nous ne voulons pas surtout pas voir que tous ceux qui seront sauvés aujourd'hui (et il faut les sauver chaque fois que c'est possible, telle n'est pas la question) mourront d'autre chose tôt ou tard. Et vu leur âge moyen, dans assez peu d'années la plupart du temps.

Depuis un mois, et pour combien de temps encore, dans le monde entier ou presque, on ne pense plus qu'à ce virus, on ne parle plus que de lui, plus rien d'autre ne compte et malheur à qui parlerait d'autre chose.

Quand cette épidémie sera terminée, est-ce qu'on parviendra enfin à réfléchir calmement ou est-ce qu'on va tout oublier au plus vite et reprendre la tête dans le guidon comme avant jusqu'à la fois suivante?

Je ne suis pas trop optimiste mais le pire n'est jamais certain.