L'intelligence artificielle surpasse l'homme au jeu de go

Publié le lun. 14 mars 2016 dans Archives , modifié le:

Deux décennies après la défaite du champion du monde des échecs Garry Kasparov contre l’ordinateur d’IBM Deep Blue, l'intelligence artificielle vient de franchir un nouveau seuil symbolique en battant dans un premier temps le champion d'Europe du jeu de go, Fan Hui, puis l'un des meilleurs joueurs de monde, Lee Sedol, dans un match doté d'un prix d'un million de dollars.

Jeu de go

Jeu de go

Le match de Séoul s'est terminé le mardi 15 mars sur un score de 4-1 en faveur d'Alphago.

Au-delà du seul aspect emblématique, cette compétition concentre d'autres enjeux d'importance :

  • Scientifiques : Certains auteurs ont déjà commencé à relativiser l'exploit réalisé. « Malgré toute sa difficulté, le Go est toujours un problème artificiel avec des règles très simples » déclare Pedro Domingos, professeur à l'université de Washington. Lee Sedol lui-même affirme que si le logiciel l'a emporté, c'est d'avantage pour des raisons psychologiques que tactiques. En effet, l'IA joue parfois des coups très imprévus qui déstabilisent l'adversaire alors qu'elle même ne semble guère pouvoir être déstabilisée dans son fonctionnement interne. À l'inverse de cette position distanciée, l’expert en intelligence artificielle David Levy anonce : « La singularité est beaucoup plus proche que la plupart des gens le pensaient auparavant » et l'association coréenne de go estime qu'AlphaGo « a maîtrisé les fondations taoistes du jeu de go et qu’il est désormais proche du territoire de la divinité ».
  • Géopolitiques : Ainsi, le champion chinois Ke Jie, rival du sud-coréen Lee Sedol a déjà déclaré à l'agence Chine Nouvelle : « AlphaGo ne peut pas me battre ».
  • Commerciaux : Dans cette compétition sur l'intelligence artificielle, les deux géants actuels sont Facebook et Google. AlphaGo appartient à Google. Il n'est donc pas totalement étonnant que le patron de l'intelligence artificielle chez Facebook insiste beaucoup en ce moment dans les médias pour relativiser le succès de son rival.

Premières publications scientifiques

L'exploit réalisé contre le champion européen Fan Hui a fait l'objet d'une publication dans la prestigieuse revue anglophone Nature, immédiatement reprise dans la presse mondiale. Pour le rééaliser, l'équipe de Google DeepMind a eu recours à la technique de l'apprentissage profond (Deep Learning), qui est depuis cinq ans environ le nouveau phare de ce domaine de recherche.

À la différence de la programmation classique, l'apprentissage profond ne consiste pas à donner à l'ordinateur un ensemble de règles à respecter. Il ne consiste pas non plus à lui demander d'explorer de manière plus ou moins exhaustive l'arbre des coups possibles. Au lieu de cela, on présente à des réseaux de neurones artificiels un très grand nombre de parties et on leur indique à chaque fois quel est le camp qui a gagné. Peu à peu, le réseau de neurones se reconfigure lui-même et apprend progressivement à reconnaître des "motifs" gagnants. Comme le résume le fondateur de DeepMind « Nos systèmes apprennent par eux-mêmes de l’expérience ».

Cette technique de l'apprentissage profond est utilisée notamment dans la reconnaissance d'images par les systèmes qui apprennent peu à peu à reconnaître dans une multitude d'image les motifs qui correspondent par exemple à des visages. Les systèmes de reconnaissance vocale tels que Siri de Apple ou encore ceux qui détectent les visages pour faire la mise au point dans votre appareil photo numérique fonctionnent de cette manière.

D'autres techniques, comme celle de l'apprentissage renforcé dans laquelle on fait jouer l'ordinateur contre lui même, ont également contribué à la réussite.

Pour aller plus loin :

Contributions reçues de nos lecteurs :

[...] ces sujets ont abondamment été traités, et souvent avec brio, par le cinéma.

Sur le monde, annoncé au Forum sur l'état du monde de San Francisco il y a plus de vingt ans, et dans lequel l'ensemble des biens et services nécessaires à toute l'humanité peuvent être produits par 20% de la population, voir le merveilleux « Die Überflüssigen » (Les Superflus) de la réalisatrice allemande Aleksandra Kumorek (2007). Malheureusement passé très inaperçu, je ne l'ai trouvé qu'en VO (allemand) sous-titré en anglais. C'est à https://www.realeyz.tv/en/die-uberflussigen.html

Sur « l'après singularité », c'est à dire le moment où l'intelligence artificielle atteindra celle d'un cerveau humain, annoncé pour avant 2045. Pour saisir l'importance de cette « singularité », il faut savoir que l'IA fonctionne (en très résumé) comme un programme d'ordinateur capable de créer une nouvelle fonction, puis de la tester pour enfin produire une copie de lui-même intégrant cette fonction nouvelle. Donc la différence entre « eux » et « nous » est qu'un programme n'est pas contraint par la nature et peut se reproduire plus vite que le plus rapide des lapins cosmiques. Donc, une fois le stade de la singularité atteint, pas moyen d'imaginer ce qui va se passer.

Trois hypothèses et quelques films...

1/ L'intelligence artificielle, continuons d'appeler ça le robot, considère que la race humaine, voire la vie organique dans son ensemble, est une espèce de cancer de l'univers qu'il faut éradiquer et on a la base de « The Terminator » de James Cameron (1984).

2/ Au contraire, le robot pense qu'il a besoin des humains ou de la vie organique comme ressource à exploiter. Il nous entraine alors dans un monde illusoire façon « The Matrix » des frères Wachowski (1999) ou tente de maximiser notre bien-être, un peu comme les gentils monstres du film d'animation « Monsters Inc. » de Disney (2002) qui, grâce au rire qu'ils procurent aux enfants, s'alimentent en énergie.

3/ Enfin, et c'est mon hypothèse favorite, le robot évolue tellement vite qu'en l'espace de quelques heures/jours/semaines il devient totalement indifférent à nous et part continuer son évolution on ne sait-où dans l'univers. Après tout, qui voudrait tenter de parler philosophie avec un moineau ou un rouge-gorge ? En même temps, nous ne leur voulons aucun mal, nous vivons juste côte à côte. C'est le thème du très joli « Her » de Spike Jonze (2013).

Si vous ne les avez pas vus, regardez en priorité Die Überflüssigen (malgré la barrière de la langue) et Her, c'est du bon cinéma avec de la profondeur

Patrice Lazareff