L’arnaque du bus enjambeur

Les révolutions technologiques et l'emballement médiatique ont atteint un tel rythme que le citoyen qui pourrait se croire sur-informé ne parvient en fait souvent plus à trier le vrai du faux. L'histoire du bus enjambeur est assez emblématique de cette dérive.

Depuis 2010, nous avons probablement tous entendu parler au moins une fois de cette invention chinoise à première vue géniale qui consiste en un autobus géant capable d'enjamber le trafic automobile. Le projet s'intitulait «Transit Elevated Bus» et ses maquettes et vidéos semblaient assez convaincaintes. Et puis plus rien.

L'idée avait repris force et vigueur début 2016, avec de nouvelles maquettes et vidéo, faisant le buzz sous l'impulsion de Bau Zhiming, le repreneur du projet. Puis de nouveau en mai à l'occasion de la China Beijing International High-Tech Expo. Pour sa levée de fonds sur des sites de financement participatifs, la start-up avait promis à ses investisseurs des intérêts de 12% versés avant même la mise en circulation, qu'elle annonçait pour l'année en cours. Puis un prototype fut présenté sur toutes les chaînes de télévision du monde début août 2016.

Cette dernière représentation correspondait à la fois au sommet de la levée de fonds et au début de la chute. Les premiers jours d'euplorie passés, les témoins de la démonstration commencèrent à faire part de leurs doutes. Le prototype semblait très instable et tout à fait incapable de transporter les 1200 passagers annoncés. Plus grave, il était à l'évidence à la fois trop bas pour dépasser des véhicules utilitaires, trop haut pour passer sous ponts et parfaitement incapable de changer de file en cas de besoin. L'ensemble du système, pour être réaliste, aurait dû ressembler beaucoup plus à un énorme tramway, roulant sur une voie spécialement conçue pour lui et accessible seulement de manière très limitée au reste de la circulation automobile. Bref, on était très loin des promesses et du marché annoncés.

Un mois plus tard, assez logiquement, le pot aux roses finissait par être découvert : La start-up de Bau Zhimang n'avait jamais envisagé de réaliser vraiment son projet. La jolie maquette, les vidéos et le prototype n'étaient qu'un écran de fumée de taille mondiale destiné à berner les quelques 200 investisseurs qui ont déboursé au total 26 millions de dollars sur les plateformes de financement participatif !

Dans les grands médias, comme toujours, après quelques très rares démentis rapides, on est vite passés au buzz suivant. Le citoyen éclairé, lui, serait pourtant bien inspiré de ralentir un peu son flux d'informations et de garder cet exemple emblématique en tête. À n'en pas douter, il y aura beaucoup d'autres arnaques de ce genre dans un avenir proche. On pourrait s'en amuser si tout cela ne contribuait pas gravement à la désinformation générale, à une période où nous aurions au contraire plus que jamais besoin d'informations fiables sur les véritables enjeux des révolutions technologiques en cours.